Lu et approuvé : Le cueilleur de rêves…

DE PASCAL MILLET

COLLECTION « NO BORDER » chez SIXTO

 

Un gars chelou

Pascal Millet, comme ça, de loin, il fait mec pas net. Vous voyez, genre faux tendre qui n’hésitera pas une seconde à vous faire déguster si vous le cherchez de trop près. On le sent même vicelard à l’occasion, méchant, sans états d’âme. En gros, un sale goût dans la bouche le temps de lui tendre la main parce qu’il faut bien. Question de politesse. Puis il vous saisit la pogne, balance son sourire et vous comprenez de suite que vous vous êtes planté sur toute la ligne.

Une vraie tête de tueur

Un coup de marlou

Mais cette seconde impression est-elle la bonne ? Car le bonhomme est écrivain, vit dans les Côtes-d’Armor, aime boire du calva dans des bars bruyants, trois raisons de se méfier de nouveau. Votre cœur balance : faut-il baisser la garde ou tendre la joue ? Et puis son bouquin, maintenant que bon gré mal gré vous êtes plus ou moins devenus potes, il va falloir le lire. Délicate mission, surtout quand c’est du mauvais. Ça arrive. Pour ma part, je n’encourage jamais les confrères à lire ma prose. Alors, dans le train, quittant Rennes après le salon La Vilaine était en Noire, je me retrouve avec ce sale boulot devant moi : me taper les 284 pages du Cueilleur de Rêves.

Ça fait froid dans le dos, non ?

Un bouquin de filou

Estampillé, à partir de 15 ans, la couverture fait dans le froid neigeux et la doudoune à capuche qui inquiète. Qui c’est ce cueilleur de rêve ? Ne lui ouvrez pas votre porte, précise le sous-titre. C’est un peu convenu, non ? Je ne lis jamais les quatrièmes de couv, c’est un principe. Je n’en saurais pas plus. Tourner les premières pages, dédicace (à Nadine) et citations d’usage (de Benchetrit et Hugo), je le sens moyen. Un pressentiment, comme ça. Puis ça débute par :

« J’ai tout fait, tout vendu. Je suis monté chez vous et j’ai frappé à votre porte, à celle de votre voisin. J’ai attendu sur votre palier, suis revenu plusieurs fois à différentes heures sans parvenir à vous rencontrer. J’ai insisté, sonné, cogné et finalement compris que jamais vous ne m’ouvririez, que vous n’en aviez rien à faire de ce que je pouvais vous proposer. »

Une nouvelle fois je m’étais planté sur toute la ligne.

 

Une intrigue de vieux grigou

Alors, pas mon genre de trop dévoiler de quoi il en retourne, ça pourrait gâcher la découverte. Vous pouvez aussi traduire cette dernière phrase par : je ne vous spoilerai pas l’histoire de peur d’impacter votre lecture. Mais entre nous, cette succession de mots me vient assez difficilement sous les doigts. Pour faire dans le bref, Lucas a un job bizarre : il enregistre les rêves pour en faire des films. Sauf que derrière tout ça y a une entreprise japonaise louche, et pas mal d’ingrédients qui a priori n’ont rien à faire ensemble : une sorcière vaudou, des jumeaux Indiens adeptes de comptabilité et de comics, un poète oiseux, un type qui se prend pour une araignée, un chat sans nom, Roméo et Juliette qui ont perdu la tête (pour de vrai et pas par amour), un mafieux retors et un junkie en haut de forme, une fille armée d’un fusil et une autre encore plus fatale que ça. Un joyeux bazar dans lequel on ne se perd pas une seconde. Le sourire en coin n’est jamais loin et certains passages évoquent un William Burroughs adapté aux lycéens. Genre déglingue, mais tout public. Un tour de force. Ça ne va jamais là où on pense que ça va (mal) aller. Onirique et glauque, cauchemardesque et farceur. Quel lascar, ce Pascal. Encore une fois, il m’a eu.

J'en suis même pas à la moitié !