Le week-end dernier, sans même m’en rendre compte, j’ai dédicacé mon trois-millième livre depuis 2011 et la parution de Plume-Rouge & Poilvert. C’est une fois chez moi, en faisant mes comptes, que j’ai réalisé le cap symbolique qui venait d’être franchi ! Du coup, je n’ai pas immortalisé le moment et la photo qui accompagne cet article date déjà (ce qui permet de dissimuler la flambée de cheveux blancs dont je suis victime depuis quelques mois). En dédicace, j’ai toujours un petit carnet avec moi pour noter mes ventes. Histoire de passer le temps et de savoir ce qui plaît ou non. Par exemple, je peux vous dire que John Dœuf est de loin mon hit avec 1273 signatures !
Du contenu, toujours du contenu…
Pour le contenu même de la dédicace, il faut avouer une certaine paresse en l’absence d’échanges avec la personne qui prend le livre. J’ai en réserve un certain nombre de formules types en fonction des ouvrages. Après, quand un dialogue s’engage avant la dédicace et que l’on discute un peu, il devient possible de se fendre d’un petit mot plus personnel. Surtout quand ce sont les enfants qui causent. Malheureusement, c’est rarement le cas. Les plus gros acheteurs sont les grands-parents (et les maîtres d’école) qui veulent offrir un cadeau un peu original pour un anniversaire ou un Noël. Souvent quand les gens viennent en famille, on parle plus avec les grands qu’avec le petit qui (au choix) n’a pas son mot à dire, s’ennuie, est timide, veut rentrer à la maison pour jouer à Minecraft, préfèrerait avoir un livre de Christophe Boncens (mon voisin sur la photo, regardez comme il est beau) mais papa trouve que ça fait trop bébé et qu’à huit ans, quand même, ils pourraient lire des livres sans images !
L’exercice n’a rien de fastidieux pour peu qu’il y ait un peu de passage. Attendre des heures le chaland est vite rasoir. Quand on passe le plus clair de son temps face à un traitement de texte à tourner des phrases et des intrigues, avoir un peu de contact humain est le bienvenu. Sans compter que les rencontres sont le plus souvent agréables, et parfois très drôles. À ce propos, une anecdote.
L’anecdote qui tue…
Nous étions une petite bande d’auteurs dans un salon assez peu fréquenté. Je préfère taire le lieu pour ne pas peiner les organisateurs qui s’étaient donné du mal. Et les visiteurs arrivaient au compte-goutte et, qui plus est, achetaient fort peu. Pour tout dire, c’est une des rares fois où je n’ai dédicacé aucun livre de la journée ! Aussi le moindre nouveau venu était épié par mes confrères et moi-même dans l’espoir d’une touche éventuelle. Arrive un couple, la cinquantaine, pull Armor Lux pour elle, chemisette Ralph Lauren pour lui. Un frémissement avide secoue notre petite troupe endormie par l’inaction. Madame s’arrête, feuillette, repose un ouvrage, puis un autre. Puis, change de table. Le premier d’entre nous (Jean-Luc Istin pour ne pas le nommer) accuse le coup. C’est raté pour lui. La dame poursuit son avancée, picore encore quelques titres, parcourt une quatrième de couv, ouvre un livre pour le reposer aussitôt. Le second d’entre nous retient son souffle (qu’il m’excuse, je ne me souviens plus de son nom).
Pendant ce temps, monsieur avance sans faire d’arrêts au stand. Il survole du regard les tables, sans un mot. Il arrive enfin à la mienne et marque un temps d’arrêt. Son regard s’éclaire d’une petite lumière et se pose sur la Fête du Solstice, le quatrième tome de la série Magicus Codex. Mes comparses, aguerris aux salons du livre, repèrent évidemment ce signe indubitable d’intérêt. L’homme s’approche, saisit le bouquin, jauge la couverture un instant. Puis, au désespoir de Loïc Tréhin qui se trouvait sur la troisième table où madame compulsait distraitement un de ses ouvrages, il fait signe à son épouse. Elle rejoint son mari avec une mine curieuse. Sans doute est-ce elle qui a insisté pour venir se perdre dans ce salon désert un dimanche après-midi, que peut-il bien vouloir lui montrer. L’homme tapote la couverture du livre avec un air entendu et déclare : « C’est ce bleu qu’il faudrait pour la salle de bain ». Et ils s’en sont allés. Mes compagnons d’infortune se sont bien moqués de moi et une nouvelle fois je me suis consolé en me répétant que ce genre de petites humiliations forgent le caractère.