Sept jours pour survivre

Brrr...

Lu et approuvé !

Sept jours pour survivre

Tout est dans le titre, pas de tromperie sur la marchandise : on va en baver. Ici on se fait enlever, séquestrer, torturer (psychologiquement), on manque de se faire violer, de périr manger par un ours, de se prendre des coups de pelle, de s’engloutir dans un lac à moitié gelé, on rampe dans la neige, on déchiquète une grive avec les dents dans un besoin irrépressible de protéiner son régime alimentaire, on appelle la délivrance de la mort dans l’engourdissement glacial du Grand Nord.

Super, la joie.

Nathalie la pimpante

Comment imaginer en rencontrant Nathalie Bernard, œil étincelant de malice, sourire qui ne demande qu’à virer au rire, qu’elle puisse prendre un soin si méticuleux à faire endurer les pires tourments à son héroïne ? « Quand ton personnage est à terre, frappe-le. » dit l’adage du bon scénariste sadique. Elle applique avec brio ce précepte et me glace le sang au passage. Je la revois décortiquer avec gourmandise ses langoustines au salon du polar du Goéland Masqué. Brrr… un frisson rétrospectif me gagne.

Nous participions à la même table ronde autour de « l’écriture noire » pour les adolescents. Chacun présente ses ouvrages se rattachant au genre : Time Zone pour moi, Sept jours pour survivre pour elle. L’idée est si simple : une jeune fille après avoir échappé à son ravisseur doit survivre dans le Grand Nord des jours durant en slalomant entre les ours, les loups, la faim, le froid. Pas pour moi ce genre d’histoire, pensai-je. Nathalie raconte alors qu’en travaillant à l’écriture du roman, elle en a appris beaucoup sur les Amérindiens et le racisme dont ils sont les victimes encore aujourd’hui.

Bingo, ce n’est toujours pas pour moi, mais pour ma fille ! Cette histoire de survie qui traite de la thématique du racisme, on nage en plein dans ses centres d’intérêt actuels. J’achète l’ouvrage, le fais dédicacer, poursuis la discussion avec Nathalie après la table ronde. On parle écriture, tambouille d’écrivain et fantasme de l’isolement pour travailler tranquille. Madame possède une cabane rien qu’à elle pour se retirer du monde et composer ses romans dans la quiétude d’un fond de jardin. Comme je l’envie !

Nita la survivante

L’histoire pourrait en rester là. J’offre le livre à ma fille qui se l’avale en moins de vingt-quatre heures et ne cesse de m’en parler durant une semaine (l’idée me vient d’écrire : « Sept jours pour survivre au compte-rendu de lecture de Sept jours pour survivre »). Elle me tanne pour que je le lise à mon tour, je cède et comprend vite son engouement : la construction (faussement simple), la prose rapide, économe et efficace, la façon de brosser à gros traits les personnages pour les rendre attachants sans ralentir l’action, tout cela donne une lecture tout à fait plaisante et prenante.

Je n’affectionne pas le genre, je l’avoue, mais comme la cible est ici le lectorat ado on évite certains passages complaisants dans le trash ou le sordide qui n’auraient pas manqué d’émailler le récit s’il avait été destiné à un public adulte. Ici, le pire est suggéré (ce qui est toujours préférable, on s’épuise à le dire) et l’auteure trouve une multitude de petites choses pour montrer le froid, l’épuisement, le découragement, la douleur. Chaque scène fait mouche, comme ce court passage où l’héroïne fait pipi dans la neige et comprend, devant les difficultés rencontrées, qu’elle est au bout de ses forces morales et physiques.

Le suspens tient jusqu’au bout avec au passage des pistes de réflexion qui s’ouvrent ci et là que le lecteur est libre de prendre ou de laisser de côté. On y parle de l’adolescence, du racisme, de l’atavisme, de la culpabilité, de l’accomplissement de soi, de l’importance des origines… Nathalie Bernard pose aussi une question morale fascinante et glaçante à travers tout un passage du roman (celui qui m’a le plus accroché) : doit-on sauver la vie d’un salaud si on le peut ? Doit-on le faire au péril de sa propre vie ? Est-ce que je deviens moi aussi un salaud si je le laisse crever ? Je vous laisse cogiter et vous encourage à lire Sept jours pour survivre pour nourrir votre réflexion !

Brrr...
Prévoir un bonnet et une écharpe !

Lu et approuvé : Le cueilleur de rêves…

DE PASCAL MILLET

COLLECTION « NO BORDER » chez SIXTO

 

Un gars chelou

Pascal Millet, comme ça, de loin, il fait mec pas net. Vous voyez, genre faux tendre qui n’hésitera pas une seconde à vous faire déguster si vous le cherchez de trop près. On le sent même vicelard à l’occasion, méchant, sans états d’âme. En gros, un sale goût dans la bouche le temps de lui tendre la main parce qu’il faut bien. Question de politesse. Puis il vous saisit la pogne, balance son sourire et vous comprenez de suite que vous vous êtes planté sur toute la ligne.

Une vraie tête de tueur

Un coup de marlou

Mais cette seconde impression est-elle la bonne ? Car le bonhomme est écrivain, vit dans les Côtes-d’Armor, aime boire du calva dans des bars bruyants, trois raisons de se méfier de nouveau. Votre cœur balance : faut-il baisser la garde ou tendre la joue ? Et puis son bouquin, maintenant que bon gré mal gré vous êtes plus ou moins devenus potes, il va falloir le lire. Délicate mission, surtout quand c’est du mauvais. Ça arrive. Pour ma part, je n’encourage jamais les confrères à lire ma prose. Alors, dans le train, quittant Rennes après le salon La Vilaine était en Noire, je me retrouve avec ce sale boulot devant moi : me taper les 284 pages du Cueilleur de Rêves.

Ça fait froid dans le dos, non ?

Un bouquin de filou

Estampillé, à partir de 15 ans, la couverture fait dans le froid neigeux et la doudoune à capuche qui inquiète. Qui c’est ce cueilleur de rêve ? Ne lui ouvrez pas votre porte, précise le sous-titre. C’est un peu convenu, non ? Je ne lis jamais les quatrièmes de couv, c’est un principe. Je n’en saurais pas plus. Tourner les premières pages, dédicace (à Nadine) et citations d’usage (de Benchetrit et Hugo), je le sens moyen. Un pressentiment, comme ça. Puis ça débute par :

« J’ai tout fait, tout vendu. Je suis monté chez vous et j’ai frappé à votre porte, à celle de votre voisin. J’ai attendu sur votre palier, suis revenu plusieurs fois à différentes heures sans parvenir à vous rencontrer. J’ai insisté, sonné, cogné et finalement compris que jamais vous ne m’ouvririez, que vous n’en aviez rien à faire de ce que je pouvais vous proposer. »

Une nouvelle fois je m’étais planté sur toute la ligne.

 

Une intrigue de vieux grigou

Alors, pas mon genre de trop dévoiler de quoi il en retourne, ça pourrait gâcher la découverte. Vous pouvez aussi traduire cette dernière phrase par : je ne vous spoilerai pas l’histoire de peur d’impacter votre lecture. Mais entre nous, cette succession de mots me vient assez difficilement sous les doigts. Pour faire dans le bref, Lucas a un job bizarre : il enregistre les rêves pour en faire des films. Sauf que derrière tout ça y a une entreprise japonaise louche, et pas mal d’ingrédients qui a priori n’ont rien à faire ensemble : une sorcière vaudou, des jumeaux Indiens adeptes de comptabilité et de comics, un poète oiseux, un type qui se prend pour une araignée, un chat sans nom, Roméo et Juliette qui ont perdu la tête (pour de vrai et pas par amour), un mafieux retors et un junkie en haut de forme, une fille armée d’un fusil et une autre encore plus fatale que ça. Un joyeux bazar dans lequel on ne se perd pas une seconde. Le sourire en coin n’est jamais loin et certains passages évoquent un William Burroughs adapté aux lycéens. Genre déglingue, mais tout public. Un tour de force. Ça ne va jamais là où on pense que ça va (mal) aller. Onirique et glauque, cauchemardesque et farceur. Quel lascar, ce Pascal. Encore une fois, il m’a eu.

J'en suis même pas à la moitié !